Pain ou viande ?

Petit conte

Un paysan à l’agonie
Sentant sa mort prochaine
Fit venir ses enfants.
En secret il leur parla.
— Je vous défends, dit-il,
De vendre votre terre.
Prenez garde : méfiez-vous des hommes d’affaires
Car la terre vaut plus que le papier !
N’allez pas vous tuer au travail
Croyez-moi. Prenez le temps de vous délasser.
N’ensemencez que quelques parcelles
Car si vous les ensemenciez toutes
Il y aurait surproduction
Et les prix chuteraient !
Mangez. Buvez. Dormez sans remords.
D’ici peu la nourriture viendra à manquer
On viendra chez vous
Chercher à manger !
Après la mort du père et le deuil
Les hommes reprirent leur tâche
Ils travaillèrent un champ sur trois
Et laissèrent le reste en pâturage.
Après un labeur sans peine
Leurs revenus augmentèrent.
Quel homme sage que leur père
De leur avoir appris avant de partir
Que le travail est un trésor
Qui se trouve dans la modération !
Et parce que les citadins ont retrouvé la sauvagerie
Tels des hommes changés en loups,
Parce qu’aujourd’hui on mange sans honte
À sa guise, de la viande sans pain,
Il faut que le paysan cesse de semer
Et s’il veut rester sur sa terre
Et vivre de son bout de terre
(Afin de rester maître de son destin)
Il faudra qu’il fasse de la viande, pas du pain
Et pour ravitailler en viande les loups
Mettre sa terre en jachère.

29 mars 1965

(Traduction Paol Keineg)

Ce poème en breton